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En marge de la célébration de la journée nationale du Migrant

Entretien avec Mouhsine Idali,  professeur de l’enseignement supérieur, spécialité Géopolitique et migration , directeur du pôle des études doctorales, Université Sultan Moulay Slimane Beni Mellal.

 

« Le Maroc est reconnu pour sa diplomatie équilibrée, sa vision stratégique et sa capacité à gérer les dossiers sensibles »

 

 

Dans cet entretien M Idali nous fait part de ses réflexions sur la position géostratégique du Maroc en matière de  gestion du flux migratoire. Il faut reconnaître que le Maroc a consenti des efforts considérables, salués par les organisations internationales . Plutôt que de voir la migration comme un frein ou un handicap pour le développement du Maroc ou d’autres pays, il faut la considérer comme un levier et  une source d’énergie vitale. Les détails

ALM : à quelques jours de la célébration de la Journée nationale des migrants, et en votre qualité de chercheur en questions migratoires et d’asile, comment expliquez-vous le retour préoccupant du discours raciste à l’égard des migrants dans un nombre important de pays occidentaux ces derniers temps, ainsi que la montée des mouvements d’extrême droite ?

Mouhsine Idali : ces derniers temps, tous les observateurs ont constaté, dans plusieurs pays du Nord, notamment en Espagne, en France, en Italie, aux États-Unis et en Allemagne, un retour inquiétant d’un discours raciste et extrémiste, étroitement lié à la progression de l’extrême droite dans ces pays. Ce phénomène peut être analysé selon trois angles , à savoir , l’angle politique : sur le plan politique, il existe des clivages internes dans ces pays, et la question migratoire est souvent instrumentalisée pour atteindre des objectifs électoralistes, mobiliser l’électorat et flatter les sentiments nationalistes en adaptant le discours aux préoccupations des populations locales, dans un contexte de crise propre à ces sociétés . Au niveau de  l’angle géopolitique : ces pays sont en concurrence économique, tant entre eux qu’avec d’autres États et blocs économiques, et n’hésitent pas à exploiter toute carte possible pour renforcer leur position et assurer une compétitivité accrue sur la scène internationale. Enfin l’angle socio-culturel : la mondialisation et les transformations sociétales profondes ont entraîné, dans plusieurs de ces pays, une crise de valeurs et d’identité. Les sociétés du Sud subissent également l’influence de ce contexte, marqué par l’émergence de valeurs étrangères à leurs traditions. Nous traversons actuellement une phase de fortes tensions autour des questions migratoires et de l’asile dans de nombreux pays du monde. Cette situation nécessite la conjugaison des efforts de tous les acteurs impliqués, dans le respect des droits humains et des droits des minorités

Quels sont, selon vous, les mécanismes et objectifs de l’utilisation récente de ce discours hostile aux étrangers, dans le contexte géopolitique actuel ?

Les objectifs sont multiples : politiques, géopolitiques, économiques, sociaux et liés aux valeurs. Ils sont directement liés au contexte mondial actuel, marqué par des crises climatiques ayant entraîné des migrations forcées dans les zones les plus touchées. Les prochaines années devraient connaître une intensification de ces flux migratoires. Cette situation est également liée à la pandémie de Covid-19, qui a bouleversé les priorités, créé un climat de tension et d’instabilité dans les relations internationales, et influencé les politiques publiques de plusieurs pays, donnant lieu à des discours de haine et de rejet de l’autre.

 

Considérez-vous que le Maroc, en tant que pays au cœur des flux migratoires et de leurs enjeux géopolitiques, socio-économiques et culturels, doit adopter une approche spécifique et une vision prospective pragmatique, malgré un niveau de risque élevé ?

La position géostratégique du Maroc est particulière : il constitue une porte d’entrée vers l’Europe pour les Africains et un accès à l’Afrique pour l’Europe et le monde occidental. Ce positionnement, historique et stratégique, le place au centre des enjeux, qu’ils soient géopolitiques, économiques, culturels ou liés aux valeurs. Cela exerce une pression considérable sur les gouvernements marocains, sur la politique nationale et sur l’ensemble des acteurs du domaine migratoire.

Il faut reconnaître que le Maroc a consenti des efforts considérables, salués par les organisations internationales. Il a été le premier pays à adopter une politique de régularisation des migrants en situation irrégulière et à mettre en place une stratégie nationale en matière de migration et d’asile. Certes, cette stratégie n’a pas encore atteint 100 % de ses objectifs, mais les résultats restent significatifs compte tenu de la sensibilité de notre position.

Il ne faut pas oublier que des tensions persistent au Sud, notamment dans la région du Sahel, marquée par l’instabilité sécuritaire et une situation économique difficile. Ces facteurs entraînent des flux quasi quotidiens vers le Nord. Si certains migrants considèrent le Maroc comme un simple pays de transit, d’autres y voient une opportunité d’installation et d’une nouvelle vie. Cela implique un niveau de risque élevé, mais la gestion marocaine de la question a été intelligente et pragmatique, toujours en fonction des intérêts nationaux.

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Il convient également de souligner que ces migrants apportent avec eux des cultures différentes, constituent une force jeune, et rencontrent des défis spécifiques que le Maroc doit comprendre et intégrer dans sa politique, de manière à concilier les intérêts nationaux et ceux de ces communautés.

 

Certains estiment que le Maroc continue de jouer un rôle de “gendarme” dans sa relation avec les pays du Nord concernant la gestion des flux migratoires. Quelle est votre opinion sur ce point ?

Les points de vue divergent, mais en politique internationale, il n’y a ni amis ni ennemis éternels, seulement des intérêts. Le Maroc est reconnu pour sa diplomatie équilibrée, sa vision stratégique et sa capacité à gérer les dossiers sensibles. L’utilisation de la question migratoire a toujours servi, et continuera de servir, des objectifs déclarés et d’autres implicites : politiques, économiques, culturels, ou liés aux valeurs.

Ainsi, le Maroc n’a pas joué le rôle de “gendarme” dans un sens péjoratif, mais celui qu’il devait assumer, dans le respect de sa souveraineté et de ses intérêts, tout en maintenant des relations internationales solides qui renforcent sa crédibilité auprès des organisations internationales. Parfois, des concessions difficiles s’imposent dans les négociations bilatérales ; elles font partie des réalités politiques, car aucun accord ne peut être totalement à l’avantage d’une seule partie. Tout est affaire d’équilibres, de priorités et de perspectives à court, moyen et long termes, dans le cadre d’un Maroc émergent et en développement.

Le Maroc connaît, comme d’autres pays du Sud, un phénomène de fuite des cerveaux et de migration des compétences vers les pays du Nord. Quel est le danger de cette réalité et comment peut-on la gérer afin de bénéficier de ces ressources humaines ?

Il est indéniable qu’un nombre important de compétences quittent le Maroc pour des pays offrant de meilleures opportunités et davantage de moyens. Cependant, ces dernières années, on observe un phénomène inverse : le retour de certaines de ces compétences. Sa Majesté le Roi a, à plusieurs reprises, appelé le gouvernement et l’ensemble des acteurs marocains à accorder une attention particulière à ces talents et à leur offrir des perspectives au service du développement national.

Il est paradoxal que l’État investisse dans la formation de sa jeunesse pour ensuite la voir contribuer à l’économie d’autres pays. Ce phénomène touche également plusieurs autres pays, notamment en Afrique du Nord, en Afrique subsaharienne et en Asie (Inde, par exemple). Toutefois, la croissance enregistrée par le Maroc dans divers secteurs — industrie automobile et aéronautique, tourisme, infrastructures routières et grands chantiers — favorise aujourd’hui un retour progressif de certaines de ces compétences.

 

Dans son dernier discours à l’occasion du 26e anniversaire de son accession au Trône, Sa Majesté a souligné que le Maroc est désormais considéré comme une économie émergente, grâce aux indicateurs positifs enregistrés dans le domaine industriel et dans d’autres secteurs, et ce malgré une conjoncture difficile marquée par la sécheresse, les tensions géopolitiques et l’inflation mondiale. Comment percevez-vous le rôle de la migration et de la stratégie nationale en matière de migration et d’asile dans ce développement, ainsi que la contribution de la diaspora marocaine , estimée à près de 6 millions de personnes , à cette dynamique ?

La relation entre migration et développement est dialectique : l’être humain est, par nature, un migrant. Plutôt que de voir la migration comme un frein ou un handicap pour le développement du Maroc ou d’autres pays, il faut la considérer comme un levier, une source d’énergie vitale. Il s’agit d’apprendre à mieux la gérer, à définir des priorités et à moraliser la vie publique et politique, afin que le développement du pays soit homogène et inclusif.

Le Maroc a besoin de toutes ses forces vives, de toutes ses compétences et de toutes ses cultures. Sa richesse réside dans la diversité de ses héritages matériels et immatériels. Notre pays a toujours été, à travers l’histoire, un carrefour de civilisations et un lieu de coexistence religieuse. À l’ère de la mondialisation, du numérique et de l’intelligence artificielle, il est impératif de consolider cet acquis et de créer des opportunités pour nos talents, nos jeunes et les migrants qui s’installent parmi nous, afin qu’ils contribuent pleinement au développement national.

Propos recueillis par SAID FRIX ALM

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